La princesse Mary de Danemark fait partie des convaincus de la première heure. La mode durable doit sortir de la confidentialité. Celle qui, depuis 2009, parraine le Copenhagen Fashion Summit se souvient combien, « à l’époque, rares étaient ceux à comprendre la complexité de l’impact de l’industrie textile sur l’environnement ». Et peu « osaient s’en emparer », a-t-elle expliqué, lors de ce Davos de la mode qui s’est déroulé les 15 et 16 mai à Copenhague.
Celle qui de longue date s’est engagée en faveur de la préservation de la planète a exhorté un auditoire de 1 700 professionnels à faire « plus, mieux, plus vite ». Car, malgré leurs politiques de développement durable, l’objectif de l’accord de Paris de contenir le réchauffement climatique en dessous du 1,5 degré d’ici à la fin du siècle est compromis. Il ne sera jamais atteint « sans opérer une transformation d’ampleur », prévient Son Altesse royale.
L’industrie textile est la deuxième production la plus polluante au monde. Elle est le deuxième utilisateur d’eau de la planète. Et chaque année, elle relâche plus de 500 000 tonnes de microfibres synthétiques dans les océans. Partout, pour répondre aux consommateurs les plus soucieux des questions environnementales, des militants ont défriché le marché. Aux Etats-Unis, Everlane vend des jeans « durables ». En Suède, trois sœurs, dont deux ex-H & M, ont fondé Dagmar pour « faire de la mode autrement », explique l’une d’elles, Karin Söderlind. Ces pionniers se réjouissent de voir en 2019 « basculer » de grandes figures de la mode.
Parmi elles figure Kering, le groupe français de luxe qui, en 2017, s’est engagé à réduire de 50 % ses émissions de CO2 avant 2025. François-Henri Pinault, son PDG, a révélé, mercredi 15 mai, avoir été missionné par Emmunuel Macron, pour fédérer une « coalition » d’entreprises et rédiger un « Fashion Pact ». Elles devront s’engager sur des « objectifs quantifiés et un calendrier de mise en œuvre », précise sa directrice du développement durable, Marie- Claire Daveu, en faveur « de la lutte contre le réchauffement climatique, la protection des océans, la perte de biodiversité et le finance- ment durable ». M. Pinault doit boucler cette mission pour le sommet du G7 de Biarritz, fin août.
De fait, les fabricants constatent combien leurs donneurs d’ordres ont changé. A Dacca, au Bangladesh, chaque jour, les usines de Sheikh Mustafiz fabriquent 10 000 tee-shirts pour des clients prêts à payer «4 dollars pour un modèle en coton bio, contre 3 pour celui en tissu conventionnel », explique-t-il. A l’en croire, « l’état d’esprit d’H&M, Zara et C&A n’est plus le même ». En Turquie, Cross Textiles a adapté sa production de 25 millions de jeans pour se conformer à la plus exigeante des certifications, le Nordic Swan Ecola- bel. Le japonais YKK, le leader de la fermeture Eclair, voit s’envoler les ventes de Zip en polyester recyclé.
« Il faut changer de logiciel »
Toutefois, ce « n’est pas suffisant », juge Eva Kruse, présidente du Global Fashion Agenda (GFA), créatrice du sommet de Copenhague. L’évolution de l’implication des acteurs de la mode en matière d’économie durable déçoit. Le Pulse Score, indice qui la mesure, s’est établi à 42 en 2019, contre 38 en 2018, d’après le GFA, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) et la coalition SAC pour la mode durable. « Son rythme de croissance a dévissé d’un tiers », déplorent ces experts. D’autant que la démographie mondiale va ruiner les résultats obtenus. Car, d’ici à 2030, la production de vêtements et chaussures devrait croître de 81 % pour atteindre 102 millions de tonnes.
Dès lors, comment mieux fabriquer nos vêtements ? « Beaucoup ont déjà été investis dans le transport ou les magasins. Mais il reste à progresser sur la gestion des déchets, les invendus ou les matières premières », juge Joël Adam, directeur associé chez BCG. L’intelligence artificielle pourrait y contribuer. Li & Fung, géant chinois du textile, a déjà recours au design virtuel sur écran pour réduire sa production de prototypes. La start-up Heuritech table aussi sur l’intelligence artificielle pour prédire les ventes en fonction d’Instagram et réduire ainsi les invendus.
Toutes les phases de production peuvent être ainsi optimisées. « Il faut changer de logiciel », formule aussi Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique et solidaire, qui veut imposer « une direction au secteur ». Et pas seulement par le biais du « Fashion Pact » de M. Pinault : la loi antigaspillage prévue cet été interdira « l’élimination des invendus de linge de maison, de vêtements et d’articles de maroquinerie ». Cette prohibition promet d’être une autre révolution copernicienne dans l’industrie de la mode.
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